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ACQUISITIONS NOUVELLES.

L’infinitif représente l’idée verbale débarrassée de tous les éléments accessoires et adventices. Il ne connaît ni la personne ni le nombre. L’idée de la voix (actif, moyen et passif) lui est, au fond, étrangère[1]. L’idée du temps elle-même n’y est entrée que par une sorte de superfétation et grâce à des retouches tardives. Certains grammairiens ont voulu faire de l’infinitif un mode du verbe : mais il n’est pas un mode, il est, comme le disaient avec raison les anciens, la forme la plus générale du verbe (τὸ γενικώτατον ῥῆμα), le nom de l’action (ὄνομα πράγματος)[2].

Pour sentir l’importance de cette forme, il suffit de lire quelques lignes d’une langue moderne. Moitié verbe, moitié substantif, mais ne portant pas le bagage encombrant dont se chargent ces deux sortes de mots, l’infinitif rend les mêmes services. Comme le verbe, il a la force transitive ; il peut, comme le verbe, s’associer un sujet ; il se fait accompagner comme le verbe d’un adverbe ou d’une négation. Mais, d’autre part, employé comme substantif, il peut être sujet ou complément ; il se met après des prépositions comme à, de, pour, sans, et toujours sans l’embarras des désinences. Il est

  1. Un vin agréable à boire. — Un conseil difficile à suivre. — Une offense impossible à pardonner. — En grec καλὸς ὁρᾶν, ἄξιος θαυμάσαι, ῥᾴδιον μαθεῖν. — En latin : mirabile visu, difficile dictu, etc. Cicéron (Ad Fam., IX, 25) nous donne en passant cet exemple de changement survenu dans le sens : Nunc ades ad imperandum, vel ad parendum potius : sic enim antiqui loquebantur.
  2. Infinitorum vis in nomen rei resolvitur. (Priscien.)