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Les Napolitains ayant quitté le hall, jouaient des airs de valses dont les sons adoucis arrivaient agréablement par les grandes baies ouvertes. Quelques Américaines et des Viennoises se balançaient avec élégance au bras de jeunes gens en smocking.

Mme de Chandoyseau, qui allait de groupe en groupe en parlant à tort et à travers, cogna familièrement de son face-à-main l’épaule de Gabriel, pendant qu’il causait avec Mme Belvidera, et elle lui dit, non sans une pointe de méchanceté :

— À qui donc ai-je entendu dire que monsieur Dompierre était un valseur émérite ? En tous cas, le bruit en est venu jusqu’à ma petite sœur qui le sait !…

Et elle passa, caquetant déjà plus loin.

— C’est un peu fort ! dit le jeune homme à Mme Belvidera, j’ai envie de me sauver.

— Il est trop tard ! fit-elle en riant, vous voilà pris dans le piège. Il faut que vous valsiez avec Solweg !

— Pas avant d’avoir valsé avec vous.

— Non, non ! ne faites pas cela, je vous en prie ; il n’y a jusqu’à présent que les jeunes filles qui dansent : allez inviter la petite Solweg, c’est moi qui vous l’ordonne ; et je ne vous plains pas tant !…

Solweg parut fort surprise quand il la salua en la priant de lui accorder cette valse. Elle eut un mouvement d’hésitation infiniment bref, et le regarda un instant, bien en face, de ses yeux bleus. Elle les rabaissa aussitôt et lui donna le bras sans mot dire. Il était résolu à interpréter tout ce qui la concernait dans le sens le plus défavorable, et la première phrase mentale par quoi se formula en lui son impression première, fut : « Eh bien ! décidément, ma petite, tu n’as pas froid aux yeux !… » Il ne se souvenait pas avoir vu jamais deux yeux se poser si franchement en face des