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Il la baisa doucement, et en souriant de la surprise que la gracieuse mobilité de sa cervelle de femme venait de lui causer ; puis il la berça dans ses bras, comme une enfant. Il l’adorait.

La lumière s’élargissait doucement à la surface du lac. La beauté du silence sublimisait le paysage. Les rives opposées apparurent à mesure que s’élevait la fine lune brillante. Presque en face, les marbres d’Isola Bella blanchirent sous l’ombre de feuillages, et derrière la grosse masse touffue d’Isola Madre plus lointaine, les maisons de Pallanza flattées par la double clarté du ciel et du miroir des eaux, pouvaient ressembler à une aimable troupe d’ondines endormies sur la grève.

Au milieu de cette paix splendide, comme chaque soir, le chant de Carlotta s’éleva du côté de la Mère des Îles, et sa barque fleurie qui semblait grosse comme un oiseau nageur, pointa sur le lac dont elle déchira la surface d’argent. C’était toujours la même chanson d’impudeur candide, une sorte de cri de la nature même, fougueuse et dolente, ardente jusqu’à la frénésie et tout à coup apaisée, attendrie, sans rythme apparent mais cependant harmonieuse. Dans le concert de beauté de toutes les choses nocturnes, cette voix simple prenait l’importance d’une parole échappée tout à coup de la terre et de la nuit mêmes échangeant leur extase ou s’adressant à Dieu. Un violent frisson parcourut tout le corps de Gabriel, puis lui remonta aux joues dont la chair lui semblait se rétracter sous mille petites piqûres. Son mouvement faillit sans doute éveiller la jeune femme qui dormait sur ses bras. Elle entr’ouvrit la bouche, et fit plusieurs fois : « Ah ! ». Reconnaissait-elle dans son sommeil, la chanson de la marchande de fleurs qui l’avait déjà plusieurs fois troublée ? Peut-être vibrait-elle, merveil-