Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gardait à l’envers ; il les lui redressa bénévolement dans la main :

— Non, non : dans ce sens-ci.

Mme Belvidera toucha le coude de son compagnon ; ils rirent l’un et l’autre de tout leur cœur. Mais peu de gens s’aperçurent du sel de la petite scène. Il faut dire que l’on ne savait trop par où prendre ces images. C’étaient des entrelacs gracieux formés de lianes végétales se métamorphosant peu à peu et prenant ici et là des rudiments de formes humaines, s’épanouissant enfin en délicieux corps de femmes ou d’adolescents dont les plus achevés semblaient se reverser avec ivresse dans le calice de fleurs imaginaires où ils s’absorbaient à nouveau tout à fait. Tout cela était encore vague, légèrement esquissé et voilé à dessein sous un estompage nuageux. On ne le distinguait qu’avec de l’application et après une certaine accommodation de l’œil. Mme de Chandoyseau n’y avait certainement rien vu.

Le vocabulaire de ses louanges se déroulait sans cesse et sans fatigue sur ses lèvres, avec cette monotonie dans la répétition inconsciente qui rend impatientant par exemple le babillage des hirondelles. Le motif principal de son exaltation venait de ce qu’un homme pût tirer tout cela de soi, n’imitât rien ni personne, enfin ne se posât point « servilement devant la nature. »

— Pardon, dit doucement Dante-Léonard-William, je ne pourrais rien faire du tout sans Mademoiselle Carlotta qui est une admirable créature et que je tâche de voir là-bas à travers ces gentlemen… C’est sa beauté qui a tout le mérite.

Mme de Chandoyseau se mordit les lèvres pour n’avoir pas trouvé cela.

Elle ratait une occasion excellente d’entrer dans