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un mystère et qui sondez miraculeusement les arcanes les plus profonds !… qui vous a dit que j’avais eu la précaution de faire demander au comte Borromée la permission de me promener dans ses domaines à loisir ?… et de plus que j’avais précisément cette permission dans mon portefeuille ?

— Vrai ?

— Tenez ! fit-il en lui tendant la carte. Prenez ce talisman, il vous suffira de le présenter au chef-jardinier qui vous laissera aller en paix… Et je ferai comme lui, madame, ajouta-t-il en s’inclinant, puisque telle est votre répugnance pour les cicerones.

— Non, dit-elle, il paraît qu’il y a beaucoup d’escaliers et de pentes : vous m’offrirez le bras !

Et elle lança son rire clair et franc, faisant retourner la tête de plusieurs hommes du port qui demeurèrent les yeux fixés sur elle.

Gabriel ne pouvait pas quitter son visage, et il était affolé de son sourire ouvert sur la rangée des dents éclatantes. Il se tenait pour ne lui pas tomber sur la bouche :

— Je t’aime ! je t’aime ! prononça-t-il à demi-voix.

Elle reçut toute la chaleur de son amour sans rejoindre les lèvres, et la trace d’une langueur heureuse éteignit seulement dans ses yeux la flamme du sourire :

— Quel pays ! quel temps ! quelle beauté ! dit-elle enfin en lui enlevant son regard qu’elle promena tout autour d’elle, sur le port garni de petites barques de couleurs claires, sur le lac lumineux, sur les montagnes lointaines dont les cimes bleues se perdaient dans le ciel.

— Je suis folle ! dit-elle.

— Moi aussi !

— Dieu est trop bon, la terre trop belle…