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rées ne sont pas renouvelées, les métayers me volent ; mais c’est l’exhibition d’une diseuse, à la Bodinière, par un conférencier favori ! c’est une représentation d’Ibsen ou de Bjonstierne Bjonstorn ! c’est une entrevue acceptée par le dernier prêtre défroqué, par la prophétesse ou le cardinal-archevêque ! c’est une messe bouddhique, un duel de poètes, un pas de quatre aux Folies-Bergères !… que sais-je ? On n’a pas le temps de vivre, monsieur…

— Notre époque, dit Dompierre, en s’efforçant de dissimuler son sourire, est en proie à une trop vive surexcitation cérébrale.

— Bravo ! monsieur, s’écria en battant des mains, Mme de Chandoyseau, qui avait saisi ce mot au vol ; bien que vous ne soyez pas artiste, monsieur, vous comprenez, oui, je suis sûre que vous comprenez ce mouvement magnifique, cette renaissance, cette envolée… oui, oui, vous comprenez !

— Je m’y efforce, madame.

— D’ailleurs, votre admirable ami semble avoir pour vous la plus grande considération… Et vous, madame, dit-elle en se retournant vers Mme Belvidera qui, un coude appuyé au dos de sa chaise, avait pris la pose des majestueuses madones rêveuses de l’école romaine, et vous, qui habitez Florence, ce cœur du monde des arts, ah ! quelle vie intense, quelle existence décuplée j’imagine que l’on doit mener dans la braise même de ce foyer !…

— Mon Dieu, madame, dit la Florentine, c’est peut-être parce que je suis née et ai grandi au milieu d’un si grand nombre de chefs-d’œuvre, que j’ai moins de fièvre à les contempler. Ce n’est pas sans doute un bienfait de la Providence, que de nous faire venir au monde à Florence ou à Rome ; car les plus grandes merveilles vous y deviennent si familières qu’on les