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puis les releva doucement ; il crut qu’elle allait lui redonner, comme à leurs rencontres des jardins, la caresse de son regard. Et quel prix elle eût contenu cette fois-ci ! Mais elle arrêta à temps la lente ascension de ses paupières, et se rapprocha en souriant de Mme de Chandoyseau.

Celle-ci rappela aussitôt Dompierre d’un petit signe familier, et dans le voisinage de la Parisienne, les deux jeunes gens furent promptement remis à l’aise. Cette petite folle répandait autour d’elle une atmosphère légère, où l’un et l’autre comprirent qu’ils auraient besoin de se réfugier souvent.

M. de Chandoyseau était assis à une table de jardin, et prenait tranquillement son petit verre de liqueur.

— Monsieur de Chandoyseau, dit sa femme, je vous présente la signora Belvidera, devant qui le divin Raphaël se fût mis à genoux, et Monsieur Dompierre qui est l’ami de l’homme le plus étonnant du monde.

Gabriel s’inclina pour ce que le titre dont on le parait avait de flatteur pour son ami, tandis que M. de Chandoyseau, qui n’admirait pas d’autres femmes que la sienne, rendait un salut de politesse à Mme Belvidera.

— Monsieur, dit-il, en s’adressant à Dompierre, vous êtes artiste, évidemment ?

— Ma foi, non, monsieur ; je vous avouerai que je consacre tous mes soins à l’étude de l’économie sociale, et j’ai passé d’austères journées sur les tables de la statistique…

— Tiens ! tiens ! dit M. de Chandoyseau, eh bien ! à la bonne heure ! je suis enchanté, monsieur, de vous connaître. Entre nous, fit-il, ces fameux artistes sont pour la plupart des farceurs !…

— Comme vous dites vrai !

— Chut ! faites attention, je vous préviens que vous ne plairez pas à ma femme.