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qui ferait une affaire d’État d’une piqûre de moustique au doigt ; qui aurait faim ou bien soif, tout le temps, mais la faim d’une croquignole ou une soif de la valeur d’un dé à coudre ; et avec ça des besoins violents de petites niaiseries stupides ; telle, en un mot, que chacun de ses désirs vous fît sourire et que le goût de la servir vous procurât l’occasion de remuer suffisamment quoique sans excès, vous amusât sans vous causer de plaisir trop vif, enfin vous maintînt éveillé agréablement. C’est là un des objets les plus avantageux, les plus délicats, et que l’on oublie généralement dans son nécessaire de voyage.

Un bruit de voix venant de la route où s’ouvrait la grille du jardin, fit sursauter tout le monde. C’était une bande de gamins courant à toutes jambes et criant : « La Reine ! la Reine !… Voilà le carrosse de la Reine !… »

Il n’y eut qu’un mouvement : on fut debout ; on se précipita vers la grille. Les persiennes de la maison claquèrent ; cinquante têtes parurent aux fenêtres de l’hôtel : des hommes réveillés de la sieste en sursaut, et des femmes portant la main à leur cou, rajustant tant bien que mal leur corsage ouvert.

— La Reine ! la Reine !

Dans un simple landau à deux chevaux et au milieu d’un nuage de poussière où se perdaient les épais cheveux blancs de la duchesse de Gênes, on vit, le temps d’un clin d’œil, la très belle figure de S. M. la Reine d’Italie. Elle passa en souriant ; on distingua le blanc des dents et le noir de la chevelure. Toutes les dames présentes firent la révérence. On resta figé un instant.

Le bruit d’une seconde voiture suivant celle de la Reine, à une très courte distance, sollicita l’attention