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son intrigue ; elle faisait flèche, une bonne fois, enfin, des mille perspicacités inavouées et toujours contenues, dont elle avait entouré les relations de l’Italienne et de l’homme qu’elle aimait.

C’était courir un risque considérable. Elle connaissait, pour en avoir été trop molestée, l’irritabilité excessive de Gabriel vis-à-vis de tout ce qui approchait du sujet de sa passion. Elle pouvait lui déplaire et le blesser violemment, irrévocablement. Mais le temps pressait ; elle flairait un départ prochain, peut-être furtif ; si elle n’agissait pas sur-le-champ, elle le perdait peut-être à jamais.

Au fond, son instinct de femme la rassurait puissamment contre toutes ces incertitudes : elle était certaine que, par dessus tout, il avait besoin d’être plaint.

Et, en effet, la sensibilité du pauvre garçon était si à vif en un point, qu’elle se trouvait annihilée en tous les autres. Ce fut à peine s’il remarqua l’importance extraordinaire de ces deux mots « et vous ? » que le regard expressif de Solweg appliquait sans aucun doute possible, à sa santé morale. Il ne songea pas à se dire : « Comment ! c’est une jeune fille qui vient me faire allusion à ce dont je ne puis parler à personne au monde ! C’est elle que j’ai dédaignée, tarabustée, blessée à propos de mon amour, qui vient me dire : « Eh bien ! mon ami, et votre cœur ? » C’est là l’aboutissement d’un long drame silencieux de deux mois et qu’une petite pointe enfin termine, une petite pointe qui me pénètre et dont je ne prévois ni la direction, ni l’arrêt dans les profondeurs de mon être !… » Il ne pensa qu’à la douceur de ces yeux compatissants qui pourtant l’avaient tant de fois irrité ! Il en recevait la caresse avec une gratitude visible sur sa figure ravagée. Ah ! la petite Solweg était désormais tranquille : il la remerciait simplement, sans lui dire un mot, mais