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luptueux se rebellait inconsciemment contre le vide épouvantant qu’il allait éprouver dans la solitude. Et il restait par lâcheté dans la compagnie d’un homme nul et de ces femmes dont il sentait que l’une au moins était pleine de tendresse pour lui.

Parler de n’importe quoi ; s’impatienter même de la vanité de l’heure qu’il allait passer là, c’était toujours reculer le moment de la redoutable explosion. Et il restait.

M. de Chandoyseau soutenait le bras de Solweg, dont la santé avait été de nouveau éprouvée par la vue du cadavre de Carlotta. On parlait d’Antonius, le peintre, qui revenait enfin de Venise, et devait prendre sa famille à Stresa pour retourner à Paris. En passant sous les épais massifs d’arbres verts tout ébranlés encore de l’organe de Luisa, Gabriel entendait la voix fine, fraîche, mesurée et précise de cette jeune fille qui parlait avec justesse, redressait avec application les erreurs de son beau-frère et de sa sœur, et sauvait, à elle seule, par son tact, la situation périlleuse que constituait leur réunion fortuite. Car Gabriel ne parlait plus guère depuis quelque temps à Mme de Chandoyseau, et il fallait son extrême misère présente pour qu’il se trouvât seul dans leur groupe. Mais cette superposition d’organes ne lui était pas désagréable, parce qu’il sentait que le second s’exerçait uniquement pour lui. C’était pour lui, et pour éviter que sa sœur ne l’éloignât par quelque maladresse, que Solweg, qui s’épuisait à seulement marcher, se donnait la peine de tenir la conversation. Et il avait dans son dénuement moral, un besoin éperdu que l’on s’occupât de lui.

De temps en temps Solweg devait s’asseoir. Mais elle sentait que l’atmosphère douloureuse qui régnait, réclamait le mouvement, et elle reprenait le bras de M. de Chandoyseau. Celui-ci s’étant absenté un moment