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vierge sous les coups d’un fiancé soupçonneux induit lui-même en erreur par suite de misérables calomnies qui avaient trompé tout le monde.

« Ah ! ça, pensaient Mme Belvidera et Dompierre, est-ce qu’il va accuser publiquement Mme de Chandoyseau ! » Ils n’osaient la chercher des yeux, de peur de voir son trouble. Eux-mêmes avaient pitié d’elle.

« Qu’est-ce qu’il peut savoir de tout cela ? » se demandaient la plupart des auditeurs du clergyman.

Il dit tout de suite ce qu’il en savait. La sueur lui perlait au front. Il avait une figure d’illuminé. Ses yeux prenaient un feu inaccoutumé. Toute sa personne, si remarquable habituellement par son aspect de placidité, semblait contractée par un effort extrême. Et, — ce qui contrastait avec la tristesse du sujet et le mal qu’il paraissait prendre à le développer, — il y avait une espèce de joie, quelque chose de comparable au plaisir d’un homme ivre, dans l’expression de sa physionomie et dans le timbre de sa voix.

Ce qu’il en savait ? Mais c’était bien simple, dit-il ; c’était lui-même qui était l’auteur de ces calomnies !

Tout l’auditoire frémit ; il y eut des « oh ! », des « ah ! », et des chuchotements, et des exclamations, et des protestations à haute voix.

Il répéta : « C’est moi ! c’est moi ! c’est moi ! »

Il était étranglé, littéralement. Il porta même la main à sa gorge comme pour élargir le garrot qui lui rompait le souffle. Mais les mots passèrent ; on les entendit bien : « C’est moi ! c’est moi ! c’est moi ! » Et aussitôt qu’ils furent passés, le martyr sourit. Il ne voulut pas regarder celle pour qui il avait l’ineffable bonheur de souffrir ; mais il ferma les yeux ; il la vit au dedans de lui, et il pensa aussi sans doute qu’à ce moment-là, Dieu, qui a pitié des pauvres créatures, lui pardonnait sa passion.