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de toi et de mon enfant. Hélas ! puis-je aussi maudire ce qui me retient ici ? Tout va bien ; mais si je n’avais été là, que serait-il arrivé ? J’ai à lutter chaque jour contre mille difficultés soulevées par la méchanceté et la jalousie. Il se trouve que tout le monde avait pensé avant moi à cette « œuvre du Transtévère » que je crois cependant avoir fondée de toutes pièces, au milieu de la stupéfaction et même de l’hilarité générales. Te rappelles-tu ? S’est-on assez moqué de moi ? Nos beaux esprits s’en sont-ils donné ? Ai-je rencontré assez d’opposition de la part des pouvoirs publics ? Quand il s’est agi d’obtenir pour un quartier mourant de fièvre dans des taudis empestés, des logements à bon marché dans cette ville toute neuve et saine, mais sans locataires depuis quinze ans, j’ai cru un moment que l’on allait me faire enfermer pour cause de démence ! Toi-même, ma chère aimée, tu me conseillais de céder, tu me disais, dans ton joli égoïsme d’amour, qu’il est bien dommage de faire le bien, quand on a toute la multitude contre soi, et jusqu’à ceux mêmes que l’on veut obliger. J’ai tenu à montrer que l’on peut agir malgré tout cela. Non, ça n’a pas été facile de déloger nos malheureux ; ils voulaient mourir dans leur fumier ; ils prétendaient que les maisons neuves sont mauvaises. Cependant, chez tous mes « transplantés », au nombre de douze cents environ, nous n’avons pas eu de tout l’été six cas de fièvre nouveaux ; or tu te rappelles les chiffres qui t’effrayaient lorsque je faisais mes premières enquêtes. Tous les enfants sont indemnes désormais, et ceux qui avaient déjà été atteints précédemment ont des forces et n’interrompent pas leur travail. Car ils travaillent ; voilà la grande affaire, la grande nouveauté, ce dont je n’osais pas parler, ce que je ne t’ai pas dit même à toi ! C’était si aléatoire, presque si invraisemblable ! Cela dé-