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bleue des montagnes ? Peut-être suivait-il sa barque dans le sillage embaumé des fleurs ? Alors, ce soir, il allait mettre pied dans le sable rougi du sang de sa jolie muse ; il l’attendrait sur la grève ; il l’appellerait doucement en disant plus haut certains vers auxquels l’oreille de la pauvre enfant était sensible ! Dompierre, qui connaissait par cœur ces vers, tremblait à la pensée que la voix du poète les prononcerait ce soir sans éveiller l’écho charmant de la chanson accoutumée ; il les entendait par avance retentir et s’éteindre en vain sur cette grève d’Isola Madre, désormais muette et sans parfum.

Lee ne répondit pas au mouvement que sa vue avait provoqué dans la barque. Il ne voulait pas être reconnu.

Quelqu’un dit :

— Ne faudrait-il pas le prévenir de ce qui est arrivé ?

Dompierre hésita un instant, puis se ressouvenant de l’acharnement que l’Anglais avait toujours mis à se montrer insensible à tout malheur particulier et à vilipender les émotions de l’amour, il pensa qu’il ne serait pas dommage que celui qu’il soupçonnait de commencer à avoir le cœur touché, reçût un coup violent :

— Laissons-le donc, dit-il, que voulez-vous que ça lui fasse !

La barque du poète continua de filer dans l’ombre vers l’Isola Madre.