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femmes des jardiniers étaient également descendues.

Tous vinrent grossir le groupe des hommes muets penchés sur le cadavre de la marchande de fleurs. Il se fit un léger remuement. De petites réflexions étaient étouffées dans les gorges crispées par le saisissement. Cela faisait des espèces de gloussements, émouvant langage d’une terreur unanime.

Puis les femmes de l’île s’agenouillèrent une à une. Une vieille qui était courbée en deux prononça ces seuls mots :

— Sa mère ! sa pauvre mère ! qu’est-ce qu’elle va dire ?

Alors toutes les femmes se mirent à pleurer.

Un de ces hommes rudes, en contemplant l’admirable morte, brandit le poing avec indignation :

— Quel malheur ! dit-il.

Tous comprirent l’épouvantable injustice des choses. L’extraordinaire beauté de la jeune morte les touchait jusqu’au plus profond de leurs instincts, et ils sentaient qu’elle était faite pour charmer les regards et enchanter le monde. Ils ne pouvaient relever les yeux de sur elle, tant la beauté qu’elle gardait dans la mort avait de puissance. Ils étaient tous en colère. Peu à peu ils firent comme les femmes et se mirent à genoux, gagnés par l’attendrissement. Tout le monde resta longtemps, dans une stupéfaction religieuse, en face de ce grand outrage du ciel, qu’il fallait accepter.

Puis les étrangers remontèrent dans les barques, et les jardiniers emportèrent le corps de Carlotta.

Le retour à Stresa fut lugubre. Personne n’osait parler. Outre l’émotion que causait l’affreux événement, plusieurs avaient de graves raisons d’être bouleversés par la disparition soudaine de la marchande de fleurs. Mme de Chandoyseau était fort gênée à cause de ce qu’elle avait dit à maintes reprises de défavorable