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Elle suffoqua, rappelée à elle-même par cette brutalité.

— Ah ! ah ! dit-elle, en retrouvant le souffle, j’ai eu peur ! Est-ce que vous avez voulu me tuer ? Oh ! dites-le, dites-le ! Ce ne serait pas mal, vous auriez raison ; c’est tout ce que je vaux, et vous me rendriez un fier service ! Moi, voyez-vous, je n’aurai pas le courage de me tuer moi-même ! J’ai tant peur de la douleur ! vous savez, d’une simple égratignure ! Je suis si douillette ! J’aimais tant être bien !… Ah ! c’est parce que j’ai dit que je ne vous aimais pas !…

L’extrême émotion la faisait passer de la colère et de l’indignation à une subite douceur, à une sorte d’attendrissement sur sa propre personne, presque à des minauderies de chatte. Elle avait alors une réelle crainte de la mort, et tous ses sentiments, si confus, si divers, se représentaient en foule et presque simultanément. Elle était tour à tour emportée, abîmée par le remords, amollie par sa naturelle bonté, affolée par les mystérieux désirs de sa chair.

Elle le regardait ; il avait lâché prise ; il attendait fébrilement ce qu’elle oserait dire. Leurs yeux brillaient comme des lucioles dans la nuit.

— Voyez-vous, dit-elle après une hésitation, comme si elle suspendait ce qu’elle avait d’essentiel à dire, il faut que vous épousiez cette petite ! Oh ! ne vous occupez pas de la famille ! Est-ce que tout, dans le monde, ne vous montre pas le vulgaire lié au sublime ? Elle est la femme qui vous convient, croyez-moi ; elle est délicate et fière, et elle vous aime éperdûment… et puis elle m’a piétinée, piétinée, comprenez-vous ? C’est de cela que vous vous souviendrez et c’est cela qui l’élèvera dans votre esprit au-dessus de la malheureuse loque que j’étais. Vous vous souviendrez de l’attitude que j’ai tenue à ses pieds et qui vous a tant