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pour avoir fait de moi ce que je suis à présent, et que je ne vous maudisse pas et ne vous crache pas à la figure ? Ah ! mon ami, voyez-vous ! il faut nous séparer ! Ce que nous faisons là est hideux !

— Nous ne pouvons pas nous séparer : votre mari veut que l’éclat de son amitié pour moi étouffe les soupçons qui ont pu naître… Ne vous dois-je pas au moins à vous, de me soumettre à ce désir ?

— Mais c’est épouvantable ! c’est inouï ! C’est vrai, ce que vous dites là ? Mais non, voyons ! avouez que vous vous moquez de moi, que vous mentez, avouez donc que vous êtes fou !

Elle se tordait les mains. L’agitation de la journée et l’annonce de cette nouvelle calamité lui donnaient la fièvre. Gabriel s’efforçait de l’empêcher de parler tout haut, car elle s’oubliait complètement, et si l’obscurité épaisse était favorable à dissimuler ses mouvements, le silence de la nuit pouvait la trahir. Il lui mettait les mains sur la bouche, il la suppliait de se calmer.

— Je suis perdue, dit-elle, à quoi bon prendre des ménagements désormais ? Je n’oserai plus me retrouver en face de mon mari. J’aime mieux qu’il me voie et qu’il m’entende ! Ne vaut-il pas mieux qu’il sache la vérité ? Lui ! lui ! l’honneur, la probité, la noblesse mêmes ! le tromper, lui mentir ignoblement, goujatement !… Pouah ! je me fais horreur ! j’ai peur de moi !

Elle reprit sa respiration, puis elle dit :

— Mais je ne vous aime pas ! je sens que je ne vous aime pas ! Qu’est-ce que vous m’avez donc fait ?

Ce mot, d’un seul coup, le rendit ivre de douleur. Tout son être bondit. Il abaissa ses mains qu’il lui tenait appliquées sur la bouche, jusqu’à son cou dont la moiteur douce le fit frémir ; et il lui serrait le cou comme s’il allait l’étrangler.