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n’enlaçait sous cette grotte que sa maîtresse, et Solweg était une petite bourgeoise qui savait très bien que les hommes comme celui-ci font bon marché de leurs liaisons irrégulières et que finalement, le beau rôle est à celles qu’ils épousent. Pourquoi n’aurait-elle pas pensé pouvoir un jour être dans ses bras ? Et puis, est-ce qu’on réfléchit à tout cela ? Est-ce qu’on pense ? Il était l’homme qu’elle devait aimer, et elle l’aimait.

— Mademoiselle, dit Luisa, en prenant les mains de Solweg, je n’ai pas l’espoir d’effacer de votre esprit ce qu’une aussi malheureuse circonstance y a gravé ; je ne vous demande ni votre pardon, ni même votre indulgence ; considérez-moi comme une femme très coupable. Je vous supplie seulement de ne vous souvenir que de la misère à laquelle ce que j’ai fait m’a réduite, là, telle que vous me voyez, à vos pieds… Puisque l’expérience s’est offerte à vous, et que vos yeux sont assez clairvoyants pour avoir deviné ce qu’a engendré de tristesse le moment d’heureuse apparence dont vous avez été témoin, ne conservez que de la compassion pour de pareils désordres : ils sont les plus pitoyables de tous les maux, car ceux qui en souffrent n’ont pas la ressource de les maudire et de les secouer avec dégoût, mais s’enchaînent eux-mêmes à leur instrument de torture et l’adorent…

Ces derniers mots la touchèrent plus que toute l’humiliation qu’elle comprenait mal. Mais là, {{Mme} Belvidera effleurait la question brûlante pour la jeune fille : la persistance de son amour. Solweg ne disait rien, mais ses paupières battaient, et on voyait poindre ses larmes. C’était bien en pure perte que Luisa s’efforçait de lui inspirer de la répugnance pour sa conduite ; ce que Solweg maudissait, c’était Luisa, mais parce que Luisa occupait la place que Solweg eût voulu tenir.