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j’ai été élevée par une grand’mère qui avait une peur affreuse de ma sœur que vous connaissez et qui nous préférait à toutes les deux, notre frère. On ne faisait pas attention à moi.

— Mais votre frère, qui est un grand esprit, à ce que tout le monde dit…

— Mon frère m’aime bien, mais il n’aime que sa peinture. Et puis, ajouta-t-elle, on n’a que ce qu’on mérite, et je ne suis pas si intéressante !

— Je vous demande bien pardon ! par exemple ; et je sais, pour ma part, quelqu’un qui s’intéresse à vous !

— Ah ! fit-elle avec surprise, et tout d’un coup suspendue aux lèvres de Luisa, comme si elle attendait une nouvelle inespérée.

— Oh ! fit l’Italienne, il ne s’agit que de moi !

Solweg dissimula vite la petite déception qu’elle éprouvait. Quelle jeunesse et quel candide amour ! elle avait espéré un instant que la maîtresse de Gabriel pût, elle, venir dire ; « Il s’intéresse à vous ! » Quelle gracieuse folie ! Mme Belvidera comprit son mouvement et en fut touchée. Mais Solweg avait repris immédiatement la distance qu’il y avait entre elle et la jeune femme.

— Vous ! dit-elle, avec un léger accent de doute qu’elle s’efforçait d’adoucir.

C’était au tour de Luisa d’avoir la grande émotion et de trembler, et d’être embarrassée. Elle n’avait pas réfléchi d’avance à la façon dont les choses tourneraient. Elle sentit alors qu’étant données les circonstances et les dispositions où elle était vis-à-vis de cette petite, il fallait en venir à une effusion complète, et que cela n’était possible qu’en faisant allusion à la terrible aventure, qu’en s’accusant, s’humiliant devant elle, en lui demandant pardon du tableau dont elle