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sonne qui s’est permis de me faire entendre que j’aurais sujet de surveiller ma femme. Vous êtes un jeune homme, et je ne sais si vous comprenez toute l’ignominie que contient un semblable avis jeté à la face de l’homme que je suis, et que vous voulez bien me faire l’honneur d’apprécier. Je ne sais quelle conception de la famille et de la dignité humaine ont ces espèces de marionnettes que vous méprisez autant que moi, m’avez-vous dit ; toujours est-il que je ne suis pas d’humeur, moi, à laisser faire si bon marché de ce qui est mon culte, mon bonheur, mon ambition, l’espoir secret de chacun de mes efforts : la grandeur et la pureté de mon nom. Peut-être suis-je un homme d’un autre temps mais, toute modestie à part, je plains les temps qui n’auront que des hommes faisant fi de ce qui constitue mon orgueil. C’est par mon orgueil que j’agis, c’est par lui que je suis capable d’accomplir des œuvres hardies, difficiles et utiles. Je ne me suis pas constitué une famille au hasard ; je n’ai pas épousé la première venue. Je fais et je ferai constamment à ma femme l’honneur de ne pas soupçonner que quelqu’un puisse élever un doute sur son honorabilité. Et une misérable catin, — car cette femme s’est jetée à notre cou à tous, n’est-ce pas, monsieur ? aussi bien au vôtre qu’au mien, et elle crève de dépit et de jalousie, — est venue me souffler que je ferais bien d’ouvrir les yeux ! En vérité, je ne sais pas comment je ne l’ai pas écrasée ! Vous devinez, monsieur, que vous n’échappez pas à être mêlé à cette turpitude… Je vous sais gré de ne même pas protester de votre innocence. Je vous prie donc, au nom de l’amitié qui nous a liés spontanément, sinon par un sentiment de générosité envers une femme qui peut souffrir à cause de vous, je vous prie donc de ne pas nous fuir, ce qui donnerait une apparence de vérité à la calomnie, mais de demeurer près de nous,