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plus heureuse, où elle est plus belle, où elle est sans amertume, sans l’atroce piment de la laideur de l’adultère ! Non, je ne veux plus, je ne veux plus ! Je vais la renvoyer ; je partirai demain : j’oublierai tout cela ou je mourrai de l’affaire ; mais mieux vaut cette solution ; mieux vaut n’importe quoi plutôt que de continuer la vie que nous menons là ! »

Il avait préparé une phrase courte et nette à lui dire en se penchant au-dessus d’elle, en la regardant en face, de façon qu’elle vît bien qu’il était résolu à lui dire cela. Après quoi, tout serait fini.

Quand il atteignit son visage qui était tourné vers le plafond, sa langue fourcha ; il dit tout autre chose que ce qu’il avait décidé :

— Luisa ! il vous attend ;… cela ne vous fait donc rien ?

Dans l’accent de sa voix, dans le sens de sa phrase irréfléchie, soudaine, et qui fut pour lui-même une surprise, toute sa lâcheté amoureuse était sensible, et réapparaissait l’espoir, le triste, le stupide, le satané espoir d’être aimé, d’être aimé, lui seul, ou décidément plus que l’autre.

— Il m’attend ! dit-elle. Mais, mon ami, vous ne pensez donc qu’à lui ?… En effet, ajouta-t-elle, avec un raffinement de méchanceté qui n’est possible que dans de tels moments, en effet, vous êtes tellement son ami !

— Oh ! Luisa ! dit Gabriel, suffoqué par la surprise et la colère, et en lui serrant un des poignets dans sa main.

Il devait lui faire atrocement mal. Elle ne poussa pas une plainte.

— Pouvez-vous me reprocher cela ? lui dit-il ; vous savez quelle insurmontable sympathie est née entre lui et moi dès la première heure, dès le premier instant… C’est vous qui auriez dû prévoir cela.