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La pendule sonna une demi-heure. Gabriel crut devoir lui rappeler que le temps passait.

— Il vous attend ? fit-il.

— Oui, dit-elle.

— Mais, si je vous attendais, moi, je trépignerais, je m’impatienterais, je ne tiendrais pas en place !…

— Il fait de même.

— Luisa ! et vous allez passer comme cela toute chaude, dans son lit ! Cette idée, voyez-vous, est insupportable !

— Toute chaude ! fit-elle, sur un ton volontairement ambigu, ce n’est pas l’entretien que nous avons, je suppose, qui me vaudra cette qualité.

Et elle se laissa tomber tout d’une pièce, sur le dos, en travers du lit.

« Elle aussi est cynique, fit Gabriel. Elle l’est avec sérénité ; et elle apporte dans son cynisme une désinvolture qui est bien la plus étrange chose du monde, étant donné la femme qu’elle est, hors des heures de passion. Mais, grand Dieu ! quel est donc le poison qui coule dans nos veines ! Quelle est la drogue infernale que boivent aux lèvres l’un de l’autre les amants ? Il y a là évidemment une possession, la possession d’un dieu farouche, enragé, cruel, sanguinaire, impitoyable et de qui les vues doivent être au moins sublimes, s’il faut une compensation à leur apparente absurdité ! — Oh ! je ne puis plus, je ne puis plus du tout supporter cela ; c’est odieux ! C’est d’autant plus odieux que j’aime davantage ce qui me révolte en elle et que je meurs d’embrasser les lèvres qui viennent de prononcer ces mots malheureux, malséants, presque dignes d’une… Ha ! ha ! ha ! et tout à l’heure, elle va partir, et le supplice va recommencer de la jalousie, des représentations imaginaires de cet autre amour, peut-être aussi violent que celui qu’elle me donne, et où elle est