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— Mon Dieu ! mon Dieu ! on ne devrait jamais rien laisser inexpliqué !… Voulez-vous que je vous dise à quoi je pensais quand je vous ai dit cela sur la terrasse ?… Oh ! je revois tout comme si j’y étais encore. Vous étiez à côté de moi, tout près, les mains ballantes, et vous ne me regardiez pas tant que vous le dites ; vous me regardiez de temps en temps par petits coups, mais ce que vous regardiez c’était le paysage, et si vous me regardiez, c’était parce que vous vouliez voir si je l’admirais… Oh ! je vous connais ! si je ne m’étais pas pâmée devant ce que vous trouviez magnifique, vous m’auriez prise pour une sotte… Alors je vous ai modulé cette phrase, savez-vous pourquoi ? parce que je savais que ça ferait bien !… Attendez ! attendez ! et savez-vous ce qu’il y avait de vrai tout de même dans ce que vous avez cru ? Eh bien ! c’est que je pensais en effet à lui, à lui qui n’aurait jamais contemplé un paysage à côté de moi, parce qu’il ne voit que moi partout où il va. Comprenez-vous comment il m’eût interrompue ? — Moi aussi, c’était la première fois que je pensais bien à lui depuis quelques jours…

— Et depuis cette fois-là, combien de fois avez-vous pensé à lui ?

— Toutes les fois que je vous ai aimé le plus fort !

— Luisa ! Luisa ! comme vous l’aimez !

— Ça ne prouve rien !

— Luisa ! Une nuit que nous étions montés sur la petite esplanade de notre olivier, dans le jardin de l’Hôtel des Îles-Borromées, j’ai senti que je vous perdais, vous vous en alliez de moi ; je vous ai fait horreur un moment ; qu’aviez-vous ?

Elle se passa la main sur le front. Leur conversation, telle qu’ils n’en avaient jamais eue, commençait à lui causer une sorte de douleur dont l’expression sur son visage, était inconnue pour Gabriel. Il ne désirait plus