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Ils étaient appuyés contre le lit. Elle avait perdu son manteau et il soutenait d’un bras sa taille. Ses doigts agités par la fièvre se brûlaient au contact de la chemise légère. C’était la première fois qu’il ne se précipitait pas comme un fauve sur cette image vivante et ardente de ce que pouvait contenir pour lui la volupté terrestre. Il écartait le plus doucement possible ses caresses. Elle commençait à se moquer de lui. Il ne l’avait jamais autant aimée.

— Luisa, lui dit-il, croyez-vous aux pressentiments ?

— Oh ! dit-elle, vous allez me faire peur !

— Non, je ne vous parlerai que de choses déjà accomplies.

— À la bonne heure !

— Mais il n’arrivera probablement jamais rien de pire que ce qui est arrivé ; je ne sais pas pourquoi on tremble toujours devant la minute qui vient.

— Parce qu’on ne la connaît pas !

— Et le passé ! le connaît-on davantage ? Cependant c’est lui qui contient l’avenir. Vous rappelez-vous, Luisa, une matinée d’Isola Bella ?… C’était dans nos premiers jours. Vous aviez monté un peu vite les marches des terrasses et, tout en haut, vous êtes restée une longue minute pensive en face du paysage magnifique. Je vous regardais respirer, sous votre ombrelle ; vos lèvres étaient entr’ouvertes, on apercevait un peu vos dents et votre poitrine se soulevait…

Il vit son regard se retirer de lui tout à coup et s’enfoncer dans le monde des images. Elle lui dit :

— Ne me rappelez pas cela !

— Ce fut à ce moment-là, Luisa, que j’eus le premier sentiment de crainte de l’avenir de notre amour, et j’eus une espèce de vision de nous deux, tels que nous sommes là, malheureux l’un par l’autre. Il ne m’était pas venu jusque-là à l’esprit qu’un homme