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quand tu as un cas de conscience qui t’étouffe ; quand tu ne sais plus où donner de la tête, ne cherche pas midi à quatorze heures. Ce qui est au-dessus de nos forces ne redescend pas se mettre à notre portée, n’est-ce pas ? Eh bien ! perds donc la tête, va ! étourdis-toi, fais n’importe quoi, tout ce que tu feras te soulagera. Nous autres femmes, aurait-elle pu ajouter, nous ne savons pas, la plupart du temps, ce que nous faisons… »

Et lui qui allait la secouer, la rudoyer et lui corner à tue-tête la fameuse question de l’homme trahi : « Pourquoi mens-tu ? » Ah ! il y a de quoi être fier, quand il s’est redressé pour demander cela ! — « Pourquoi je mens, eût-elle pu lui répondre ; mais je mens comme tu respires, comme tu tressailles devant ma chair, comme l’oiseau chante. Je mens parce que c’est la défense que la nature m’a donnée en adaptation au milieu où je dois vivre. Je ne sais pas si je mens. Je ne le sais pas plus que le poisson ne sait qu’il nage. Il vit en nageant, moi je vis en mentant. C’est vous qui êtes drôle de remarquer cela… »

— Sais-tu comment tu me regardes ! dit-elle, la tête renversée sur son bras.

— Mais comme toujours, ma pauvre chérie…

— « Ma pauvre chérie ! » c’est bien ça : tu me regardes comme un malheureux chien à qui l’on dit en lui flattant le museau : « Ah ! si tu n’étais pas une bête, je causerais bien avec toi !… » Vous savez, ajouta-t-elle, que je n’aime pas ça. Si vous me prenez en pitié, je vous certifie que vous avez tort.

— Je ne vous prends pas en pitié, Luisa ; j’ai seulement une sorte d’admiration attendrie, si vous voulez, pour ce que vous faites encore en ma faveur.

— Mais, dit-elle, vous ne supposez pas, j’espère bien, que ce soit par charité que je le fais ?