Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XV


Elle poussa la porte et entra avec son visage ordinaire. On eût dit qu’elle était sa maîtresse docile de chaque soir. Elle sourit et vint à lui en lui tendant les lèvres. Il lui avait saisi les deux mains et la maintenait ainsi à une courte distance, voulant s’imposer à toute force de ne pas recevoir son baiser. Son désir naturel était de la battre, à cause de ce qu’il avait souffert par elle et à cause du mensonge évident de son attitude présente ; mais encore davantage à cause du sentiment, éprouvé dès son entrée, qu’il serait vaincu par elle, dès qu’elle l’aurait résolu. Une sorte de haine avivée de dépit se mêlait en lui à la sourde rumeur de l’amour plus fort que tout, et qu’il sentait venir des profondeurs de son être, comme ces vagues lointaines dont on suit de l’oreille la course sûre, dans la nuit, et dont on peut fixer la limite de l’éclaboussure, à un doigt près, sur le sable.

— Bête !… dit-elle.

— Luisa ! Luisa ! pouvez-vous bien me donner vos lèvres !

— Bête ! répéta-t-elle, tenant toujours sa bouche tendue.