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gouttelettes d’eau dégringolant et se grossissant feuille à feuille, jusqu’à former la goutte énorme qui tombe à terre en claquant, ou, surprenant une nuque dégagée, arrache aux jeunes femmes un cri.

— Mon ami, dit Luisa, vous êtes trop imprudent ; je veux vous gronder. Pourquoi vous exposer à inventer des histoires de gageure ?

— Quoi ? Vous…

— Oui, oui, sans doute, à la première impression, j’ai failli vous croire. D’abord j’ignorais que vous fussiez informé que nous étions à Cadenabbia ; je me suis creusé la tête à me demander pour qui vous aviez pu faire la folie de cette traversée. Mais maintenant je suis sûre que vous me saviez ici, et je vous fais la générosité de penser que vous y êtes venu pour moi…

— Luisa !…

— Ne protestez pas ! Je vous remercie de ce que vous avez fait ; je m’en veux même de ne l’avoir pas compris tout de suite. Mais, aux yeux du monde, voyons, mon bon ami, c’est une façon de proclamer vos sentiments un peu haut… trop haut !

— Oh ! fit-il, c’est vrai, pardonnez-moi.

Elle comprit, à sa façon laconique de lui demander pardon sans ajouter un mot de plus pour s’excuser, que sa remarque le blessait. En effet, elle ne l’avait pas accoutumé à la prudence excessive ; elle en avait bien peu manifesté elle-même, alors qu’elle l’aimait ! et ce rappel amical à la sagesse avait pour lui la plus douloureuse signification.

— Voyons ! dit-elle, mon cher ami, vous devriez comprendre que la présence de mon mari m’oblige à des ménagements…

— Oui, oui ! certes ! je comprends !…

— Ha ! vous êtes comme un enfant qui ne veut pas entendre raison !