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lui coupèrent toute réflexion. Le vent avait de courts apaisements, mais des brusques retours si vifs, que les deux rameurs ne cessaient pas d’être tenus en haleine. Le batelier naturellement bavard se taisait, laissant de temps à autre échapper un juron où le nom de la Madone revenait avec insistance, dans une confusion complète de l’imprécation et de la prière. Gabriel ne se rendit aucun compte de la façon dont ils firent cette courte et brutale traversée. Un chapeau de femme ballotté à la surface de l’eau, qui le frappa, dans le temps qu’ils approchaient de Cadenabbia, lui rappela tout à coup ce qu’ils venaient faire là. Le souci de la lutte pour sa propre défense durant tout le trajet, lui avait fait négliger jusqu’au motif pour lequel il exposait sa vie.

Ce chapeau, en tout cas, n’était pas celui de Luisa. Cette seule constatation fit virer le sens de sa préoccupation, et il ne fut plus soutenu que par la perspective de l’immense plaisir qu’il aurait à apprendre que Luisa allait bien, et qu’elle était là, tranquille et belle, à regarder de loin la tempête.

— Monsieur, dit le batelier, c’est noir de monde.

Gabriel tourna la tête et retrouva l’affluence de gens qu’il avait découverts à la lorgnette.

— Il y a eu un malheur, dit l’homme en clignant de l’œil du côté du chapeau qui balançait déjà loin d’eux sa large paille élégante et ses fleurs fraîches.

Un grand nombre de personnes les entourèrent à leur arrivée. On avait suivi avec intérêt les péripéties de leur traversée.

Gabriel regarda tout autour de lui. Il n’avait qu’un but, apercevoir Luisa.

Elle se frayait un passage, avec son mari, au travers des groupes, pour parvenir jusqu’à lui.

L’un et l’autre étaient fort anxieux depuis qu’ils