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l’incertitude. Il fallait coûte que coûte qu’il se fît transporter à Cadenabbia. Le danger ? Il ne s’était à aucun moment senti aussi insouciant de sa sécurité. Si Luisa, par hasard, était celle à qui il avait vu tendre dans l’eau les avirons, mieux valait pour lui la rejoindre au fond de ce lac ! Si elle vivait, il lui semblait qu’il ressentirait dans la mort même, la dernière volupté qu’il lui fût possible d’éprouver désormais par elle, lorsque son corps lui serait présenté. Elle le verrait sans une émotion peut-être, sans une larme ; elle le jugerait un débris méprisable depuis l’instant qu’il avait cessé d’être son plaisir. N’était-ce pas la plus complète façon de s’abîmer devant elle ?

Il ne prit que le temps d’aller chercher dans sa chambre un chapeau de feutre ; il descendit, redonna un autre coup d’œil à la longue-vue, qui lui fit distinguer un attroupement sur le rivage de Cadenabbia. Ces gens étaient évidemment attirés par le drame qui venait de se jouer sous leurs yeux ; mais tout secours était inutile, car les barques demeurées autour du lieu du sinistre avaient la plus grande peine à se tenir. Il traversa le jardin en courant et héla un batelier. Aucun ne répondit. La rive était déserte et tous les canots tirés très haut sur la pente sablonneuse. De grosses lames, pareilles à celles de la mer, venaient cependant les lécher, et les plus fortes, en les secouant, faisaient rendre un bruit sourd aux avirons déplacés par le choc.

— Ohé ! ohé !…

Personne ne se montrait. La pluie pourtant avait cessé, et le vent avait moins de rage.

Il s’apprêtait à détacher lui-même une barque et à se risquer seul. Il allait descendre, à l’extrémité du jardin, les marches qui conduisent à l’embarcadère de l’hôtel.