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— Par l’or ! La vue de l’or la bouleverse, l’hypnotise, l’enivre. Elle saute, elle crie, elle devient folle ; ou bien elle reste fanatisée, absorbée, silencieuse, dans une contemplation idolâtre devant la pièce d’or qu’on lui met dans la main. Vous verrez !… Eh bien ! avec tout l’or du monde, je n’eusse pas obtenu de faire d’elle ma maîtresse, dans le cas où la fantaisie m’en eût pris. Elle eût été certainement à la torture si je lui eusse mis ce marché-là en main ; elle eût été capable de se noyer de désespoir, mais elle n’eût pas été capable de se donner hormis en justes noces. C’est une espèce de terreur du prêtre, de l’enfer, peut-être aussi de l’opinion du village, je ne sais au juste…

Oui, continua-t-il, en lisant l’étonnement sur la figure de son ami, c’est ainsi, voilà tout. Or, moi, je voulais la voir dans toute la beauté que je soupçonnais sous ses nippes. Vous vous souvenez de la façon dont elle marchait, là-bas, sur la petite place de l’église ?… Ah ! Dieu ! C’était la première fois que je comprenais la beauté d’un corps humain en mouvement, d’un corps humain allant et venant selon la destinée pure et simple de ses membres, n’est-ce pas ? selon le désir du Créateur, eût-on dit ! Certes, la première femme qui sortit de la main de Dieu dut marcher ainsi ! Vous l’admiriez ? Oui, oui, je sais que vous l’avez admirée. C’est bien, c’est très bien… Savez-vous comment je suis parvenu à la dévêtir ?…

— À prix d’or, parbleu !

— En achetant à prix d’or, en effet, chaque pouce de sa chair ; mais en déposant, à chaque fois, entre ses mains des cautions considérables qu’elle devait garder si j’attentais à sa vertu…

— Et vous ne lui avez pas fourni l’occasion de les garder ?

— Elle n’eût pu les garder qu’une fois, n’est-ce