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ces parterres ambulants, et eut la curiosité de savoir à qui de telles merveilles étaient destinées. N’osant interroger personne, il prit le parti de suivre tout simplement les porteurs.

Quelle ne fut pas sa stupéfaction, en les voyant frapper à la porte de l’appartement de Dante-Léonard-William ! Il s’arrêta sur le palier, un peu honteux de son indiscrétion, mais intrigué au plus haut point par la nouvelle fantaisie étrange de son ami l’Anglais. « Heureux homme ! fit-il à part soi, au moins celui-là s’amuse ! Pourquoi l’ai-je plaint tant de fois ? Pourquoi l’ai-je cru digne de commisération sous le prétexte qu’il n’aime pas, parce qu’il ne peut pas aimer ? Mais c’est l’être le plus fortuné du monde, puisqu’il ignore le tourment que je souffre ! »

Il se hasarda à passer devant la porte encore entr’ouverte. Il l’aperçut lui-même debout, contemplant ces fleurs nouvelles avec un plaisir qui lui faisait épanouir sa mobile physionomie. Le poète le vit et l’appela sans hésitation.

— Venez donc ! venez donc ! dit-il, voici, dans ces paniers, la meilleure raison de croire en Dieu !

— Je vous avoue que je suis ces corbeilles depuis la porte de la rue. C’est d’un attrait irrésistible. Mais vous donnez une fête ?…

— Je me donne une fête, dit-il, en effet ; voulez-vous en profiter ?

— Non ! je vous remercie ; par ces temps-là, dit-il, en montrant le ciel qui s’assombrissait, vous savez que je fais un triste convive…

— Oh ! rassurez-vous ! on ne danse pas chez moi et j’ai même négligé de faire monter des rafraîchissements…

— Mais je n’ai pas le cœur à causer ; cela ne va pas ; j’aurais besoin d’être seul…