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ma chambre, la même journée, plus tendre, plus caressante que jamais, exaltée comme jamais !… Non, ce serait trop ignoble ; il y a des catins même qui ont l’attention d’éviter ces scènes si rapprochées. Si son mari m’a confirmé cette chose invraisemblable, c’est par une petite forfanterie bien naturelle. Sans doute, en quittant la chambre, il avait donné un baiser à sa jeune femme, parce qu’il était content de sa toilette, parce qu’il la trouvait très jolie… Cela se fait, cela ne signifie rien ».

Cependant ses yeux étaient fixés sur la barque qui se rapetissait en approchant de Cadenabbia. « Ils sont partis tous les deux, Mme de Chandoyseau était prévenue, et à moi on n’a rien dit. Il y a bien là une intention… Voyons ! que diable ! je raisonne ; je ne suis pas halluciné : ils voulaient être seuls dans cette jolie petite barque qui s’en va là-bas. Ils voulaient être seuls sur la rive délicieuse de Cadenabbia ; ils s’y assoiront sous les grands platanes, au bord de l’eau, dans des chaises d’osier frais. Et là, ils se secoueront les épaules, en se souriant, les yeux dans les yeux : « Quel plaisir de ne connaître personne ici ! — Dînons nous ? — Pourquoi pas ? — Et la petite Luisa que tu n’as pas amenée ? — Elle dînera avec Solweg… » En effet, la petite Luisa est tranquille et reprend sa gaîté depuis le retour de son papa ; il faut l’entendre répondre à qui s’informe près d’elle de sa mère : « Maman est avec papa ! »

À ne plus les apercevoir côte à côte réunis comme des amants, son besoin d’espoir le ressaisissait. « Pourquoi ? mais pourquoi est-elle venue l’autre jour à ma prière ? pourquoi s’est-elle donnée encore à moi, si elle est reprise par l’amour de son mari ? Pourquoi s’est-elle donnée avec plus de passion même qu’à l’ordinaire ?…