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Mme de Chandoyseau possédait, malgré sa sottise, cette sorte de pénétration à fleur de peau, mais très juste, qui est commune chez les femmes de Paris exercées à la médisance. De plus, sa malignité ne s’employait pas à la légère, et c’est ce qui la rendait redoutable. Elle mentait à peine ; du moins, elle n’inventait que le vraisemblable ; elle renseignait à propos. Il avait eu lieu de s’en apercevoir encore une fois, l’avant-veille, lorsqu’elle lui avait communiqué son heureuse intuition de l’occupation galante de M. et de Mme Belvidera, tout le long de l’escalier.

Avait-elle donc dit vrai de nouveau cette fois-ci ? Ne s’était-il pas suffisamment torturé l’esprit, non seulement depuis sa première entrevue avec le mari de Luisa, mais surtout depuis l’affreuse soirée de Lugano où il avait acquis la certitude que les relations des deux époux étaient plus que cordiales ? N’était-ce pas assez d’être assuré qu’il y avait entre eux un lien d’amour contre lequel il lui faudrait lutter s’il ne voulait pas perdre sa maîtresse ? Fallait-il que son sort fût descendu si bas que sa compagnie devînt une gêne pour la jeune femme et que celle-ci mît jusqu’à la Chandoyseau à contribution pour l’empêcher de la suivre dans les parties qu’elle organisait avec son nouvel amant, son mari ?

« Je rêve ! je rêve ! » tentait-il de se dire, comme à l’instant le plus critique d’un cauchemar ; « ce n’est pas possible ; ce qu’on m’a mis là dans la tête est fou ! voilà maintenant que je me prends à écouter les racontars d’une pie-borgne, d’une femme jalouse qui a évidemment juré de détruire mon bonheur !… Même l’autre jour dans la salle à manger de Lugano, ce qu’elle m’a dit n’avait pas le sens commun ! Ils se sont embrassés tout le long de l’escalier ! Ah ! ah ! ah ! Après que j’avais eu Luisa, une heure durant, dans