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— Je ne parle pas d’après des confidences, mais d’après les apparences, d’après tout ce que le monde voit…

— Oh ! ce que le monde voit ! ce que le monde voit ! le monde est si sot, si aveugle ! Le monde ne voit rien !

— Que si ! dit Mme Belvidera, car il se trouve toujours quelqu’un pour lui ouvrir les yeux et lui fournir plus de renseignements qu’il n’en veut… Vous m’excusez, chère madame, voici précisément Monsieur Dompierre avec mon mari qui vient me prendre pour une petite promenade que nous avons comploté de faire tous les deux. Où ça ? je ne vous le dis pas ; tant pis ! Je vous laisse avec… l’accusé. J’espère que vous saurez tirer de lui des éclaircissements sur le sujet qui vous intéresse et que cet entretien sera avantageux au rétablissement des bonnes mœurs…

— Monsieur Dompierre, ajouta-t-elle en prenant le bras de son mari, je vous laisse avec Madame de Chandoyseau, qui a les choses les plus intéressantes à vous dire… en confidence ! Adieu ! adieu ! fit-elle, avec un gracieux signe de la main.

Il était facile de voir que les deux femmes s’étaient piquées. Le ton qu’employait Mme Belvidera était si opposé à son calme ordinaire que Dompierre pensa immédiatement qu’il y avait dû avoir de la part de Mme de Chandoyseau une attaque assez vive. Par contre, il trouva celle-ci en possession de tout le flegme qu’elle apportait jusqu’en l’exercice de ses perfidies. Ses petits yeux d’acier brillaient ainsi qu’en maintes occasions dont il avait été témoin précédemment. Peut-être venait-elle d’allumer la guerre ; mais elle en avait alors longuement mûri le projet, elle en envisageait les conséquences avec une entière présence d’esprit.