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l’êtes du vôtre, ma chère amie, n’est-ce pas ? Mais je m’en émeus à cause de nos jeunes filles… Enfin, ne trouvez-vous pas que c’est désagréable ?…

— De ne pas connaître le pacha ?

— De ne pouvoir faire cesser le scandale ! Toute la ville est témoin de ce désordre ! Vous n’êtes pas sortie hier soir ? tout Bellagio n’était occupé que de la Carlotta. Dans la rue, depuis l’hôtel d’Angleterre jusqu’au bout du quai, il n’était question que de la marchande de fleurs des îles Borromées ayant fait soudain fortune et la dissipant dans les boutiques de soieries, d’horlogerie, de bibelots en bois ; oui, ma chère, jusque dans les magasins d’antiquités ! Je n’invente pas : j’ai vu de mes yeux la demoiselle tripoter des verreries de Venise, des porcelaines de Saxe, et de vieilles chasubles ! On s’écrasait devant la vitrine. Ce serait à mourir de rire si ce n’était pitoyable !

— Mon Dieu, que vous êtes sévère !

— Mais non ! ma bonne amie ; mais songez que tout le monde a vu cette fille en haillons à l’Isola Bella, il y a six semaines, au milieu d’une famille honnête, et la voilà qui fait tapage aujourd’hui au milieu de nous, de notre groupe enfin, où l’on soupçonne à bon droit que se trouve le séducteur, duquel, à n’en pas douter, on prononce le nom…

— On prononce son nom ? dit Mme Belvidera.

— Je ne l’ai pas entendu, mais on le prononce. Ce n’est pas si difficile ; comptons nos hommes : nous en avons trois mariés…

— Deux !

— Comment deux ! Monsieur Belvidera, Monsieur de Chandoyseau et le révérend Lovely… ça fait trois !

— Ha ! ha ! ha ! j’oubliais le révérend ! Mais il ne compte pas, voyons !

— Admettons que l’on ne parle ni de lui, ni de nos