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À cause de l’obscurité de la pièce, M. Belvidera ne devait apercevoir qu’imparfaitement le Français, mais celui-ci distinguait jusqu’au moindre des traits du nouveau venu. Il reçut d’un seul coup toute l’impression que cet homme devait lui produire dans la suite. M. Belvidera avait un de ces caractères nets et délimités qu’il est inutile de se reprendre à deux fois pour connaître. Sans hésitation, il tendit la main en disant qu’il connaissait M. Dompierre, par les paroles élogieuses que M. de Chandoyseau, dont il venait de faire la connaissance, avait prononcées en sa faveur. Gabriel sentit la poignée de main forte, un peu dure, des natures toutes loyales et toutes droites, en même temps qu’il recevait son regard clair, pur, tranchant, qui lui valait un peu l’aspect militaire classique, dans sa meilleure acception : honnête et brave. Cet homme-là pouvait manquer de clairvoyance vis-à-vis des mille replis de la perversité humaine ; mais il devait avoir la plus grande lucidité dans les questions même ardues où la malignité et la ruse n’avaient pas de prise. C’est ainsi qu’il n’avait pas soupçonné la « gaffe » que commettait M. de Chandoyseau — à l’instigation de sa femme bien entendu — en prononçant l’éloge du jeune homme, parce qu’il était incapable de voir les dessous déloyaux ; mais c’est ainsi qu’il avait senti et apprécié sur-le-champ la bonne foi de M. de Chandoyseau et renversait instantanément sur son jeune compatriote la sympathie que M. de Chandoyseau avait très réellement pour lui.

M. Belvidera était de taille assez haute ; il portait une moustache forte et noire, ses cheveux commençaient à peine à grisonner ; il était vêtu sans recherche, mais avec une sorte d’élégance naturelle provenant de la force et de la droiture de toute sa personne. Mme de Chandoyseau avait prononcé une fois en sa vie