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rière les buis. Elle ne fut nullement troublée en les reconnaissant. Ils lui demandèrent de leur vendre des fleurs, en lui signalant la présence du garçon tapi là-bas avec une mine peu rassurante. Elle comprit tout de suite, et se contenta de hausser les épaules.

— Vous n’avez donc pas peur ?

Elle les regarda sans répondre. Toute sa figure exprimait une sérénité parfaite. Ses yeux splendides semblaient illuminer sa jolie figure ; elle avait le cou dégagé, et, une main posée tranquillement sur la hanche, elle paraissait défier l’univers, dans son inconscience. Sans doute, elle savait bien qu’elle n’aurait qu’à regarder le malheureux garçon pour voir tomber sa colère. Sa puissance était si évidente qu’ils ne gardèrent aucune inquiétude.

Par curiosité, tout au moins, ils voulurent la voir partir. Elle posa un des paniers de fleurs sur sa tête et en prit adroitement quatre autres qu’elle suspendit aux anses de ses bras. Ils descendirent derrière elle, dans son sillage embaumé. Sa barque était amarrée dans le voisinage, et ils la quittèrent pour aller rejoindre les leurs demeurées plus loin.

Ils n’avaient pas fait cent pas que le bruit d’une altercation les fit retourner, et ils distinguèrent une prise de corps assez violente qui avait lieu certainement entre la pauvre Carlotta et son soupirant jaloux… Gabriel s’élançait, quand il vit très nettement la Carlotta renverser l’homme sur le rivage, sauter dans sa barque et s’éloigner en un clin d’œil à grands coups d’aviron. Le garçon se releva ; il ramassa une pierre et la lança dans la direction de Carlotta. On ne vit pas tomber la pierre dans l’eau ; les deux amants tremblaient que la malheureuse ne fût atteinte. Le gars ramassa une autre pierre. Mais Carlotta éleva sa voix admirable et tranquille qui éveilla un écho au mur du palais et se