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d’œil : jamais il n’avait éprouvé dans un temps aussi court et par un moyen aussi simple, une émotion si intimement cuisante et si complexe. Le résultat, en lui, fut plutôt une sorte de colère contre cette jeune fille sérieuse, presque silencieuse au milieu du jacassement des femmes, et qui voyait dans ses faits et gestes, qui percevait clair comme le jour, en ce moment-ci, le double jeu de Mme Belvidera et le sien, qui lisait son mensonge sur ses lèvres, au moment où il le prononçait, qui avait lu le mensonge pénible de la jeune mère à sa fillette, et comprenait aussi nettement le merveilleux instinct de l’enfant luttant contre l’absence insolite de sa mère. Qu’est-ce qu’avait cette demoiselle à venir regarder dans ses affaires ? Et sa sympathie par dessus le marché ! sa compatissante complaisance ! sa gracieuse indulgence envers l’auteur responsable de cette tragi-comédie ! qu’en avait-il faire en vérité ? Il la trouvait énervante au suprême degré.

Il s’en alla, en flânant, sur la route, afin de dépister tout au moins la surveillance de Mme de Chandoyseau, et prit une barque, fort loin de l’embarcadère de l’hôtel, désespéré d’ailleurs quant à la réussite de sa soirée à l’Isola Madre. Il eut un véritable étonnement, en faisant lentement le tour de cette île, après plusieurs crochets sur le lac, de découvrir la barque qui portait Mme Belvidera, amarrée déjà sur une petite plage naturelle… Il ne joua donc qu’incomplètement la surprise qui était nécessaire, à cause des bateliers, et entraîna la jeune femme hors de toute vue. Le bonheur de l’avoir là, à lui seul, dans cette île déserte à cette heure, et après en avoir désespéré, lui donnait une folie enfantine.

Luisa s’extasia tout de suite sur la richesse du paysage, sur le nombre et la magnificence des arbres où les beaux tons de l’automne commençaient à répan-