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cieuse et trop intelligente qui guerroyait contre lui avec des roueries de diplomate.

La petite avait renfoncé quelque temps une larme ; puis, voyant qu’elle ne pouvait la contenir, elle s’était levée précipitamment, et était allée se jeter sur les genoux de Solweg, pour qui elle éprouvait une grande amitié.

Était-ce un élan naturel ou une dernière ruse, la plus forte, assurément : l’emploi de la provocation à la jalousie pour attendrir sa mère ? L’effet fut infaillible. À peine l’enfant recevait-elle les caresses de Solweg que Mme Belvidera allait la prendre dans les bras de la jeune fille, la couvrait de baisers, et fondant elle-même en larmes, tout à coup, entraînait sa fille à l’intérieur de l’hôtel.

— Et vous, monsieur Dompierre, dit à brûle-pourpoint Mme de Chandoyseau, vous ne faites pas de promenade aujourd’hui ?

— Mon Dieu ! madame, j’ai un assez grand mal de tête, et je pense que j’irai marcher sur la route, quand la chaleur sera un peu tombée.

Il était ému de la scène qui venait de se passer, et la question méchante de cette pie-grièche lui faisait légèrement trembler la voix. Il rencontra sans l’avoir cherché l’énigmatique regard de Solweg, qui était fixé sur lui au moment où il parlait.

Peindre ce qu’il y avait dans ces yeux est chose impossible. De l’anxiété, de la pitié, une sorte de douce remontrance, une exhortation involontaire, un chagrin réel, enfin par dessus tout, une complaisance, un fond de sympathie, simple, franc, éclatant d’évidence, qui luttait contre tout le reste, et semblait noyer tout le reste dans l’humidité limpide de ce regard bleu. Il avait eu bien des impressions, par le court moyen d’un geste, d’un regard, d’un seul clin