Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voit-il pas ?… Ah ! il m’a vue ! » Alors on rit de tout son cœur ! et il lui dit en la baisant : « Chatte ! Chatte !… »

Eh bien, mais, non ! cela n’est pas possible ; ça n’arrivera plus jamais ! ah ! ah ! ah ! C’est bien fini ! mes amis ! Comment voulez-vous que cela se produise jamais de nouveau ? On a beau faire ; ce qui est ne s’effacera pas. Elle le sent bien, sous son front, là, dans un petit endroit où il lui semble que toute sa mémoire soit logée. C’est un point, une espèce de boule grosse comme une bille, et qui lui fait mal, qui pèse. Jamais cette boule ne roulera, ne se déplacera, ne partira. Dans cette boule quelque chose d’inouï est inscrit. C’est elle-même qui l’a inscrit ; elle le sait, elle le reconnaît parfaitement. Oui, oui, elle l’a voulu, on ne lui a pas forcé la main. Après l’avoir inscrit, elle a ri, elle a chanté, elle a été heureuse. Cependant c’était sa condamnation. Et du diable ! par exemple, si elle sait comment elle a pu faire cela !

Elle fronce les sourcils avec colère, elle secoue la tête. Tout son cerveau s’ébranle ; en un seul point quelque chose reste fixe, et on dirait que tout pivote autour : la bille.

Alors elle essaie de se réfugier dans son mal même. Elle ferme encore les yeux ; elle se fait douillette ; elle pense à mille petits frissons et à une espèce de volupté de vertige. C’est bien ce qu’elle a toujours ressenti de ce côté-là : c’est dans le vertige qu’elle a trouvé la raison de faire ce qu’elle ne comprend pas qu’elle ait fait. Tout d’un coup la tête vous tourne et on se jette ; on pousse un cri. Ah ! sacristi ! c’est une drôle de chose tout de même !

Est-ce que c’est de l’amour, cela ? Comment voulez-vous demander à une femme si ce qu’elle éprouve est de l’amour, quand elle se précipite ainsi du haut du mur