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sement. Elle lui entoura le cou de ses beaux bras élevés dont les manches lâches retombaient jusqu’à l’épaule, et l’imperceptible et soyeux duvet de sa peau de brune se laissait lustrer par ses lèvres, comme le dos onduleux d’une chatte sous la main. Elle embaumait alors jusqu’à causer une soudaine et complète ivresse. Il la suppliait de ne pas lui donner sa bouche :

— Ce serait trop ! non ! ce serait trop !…

Elle se faisait un jeu de la lui imposer.

Quand il eut la force de relever la tête, il lui parla d’un projet qu’il caressait depuis plusieurs jours, et qu’il voulait mettre à exécution dès le lendemain.

— Ne parlons pas de demain ! dit-elle.

— Pourquoi ? pourquoi ?

— Je ne sais pas. Mais, toi-même, généralement, tu n’aimes pas à parler de l’avenir.

— Mais demain ce n’est pas l’avenir ; demain, c’est là, tout près, nous y touchons ! Voyons, est-ce que nous ne disons pas tous les jours à « demain », est-ce que nous ne combinons pas nos promenades pour le lendemain ? Eh bien ? Qu’est-ce que ça signifie ? Qu’est-ce qui te prend ? Qu’as-tu ?… Tu as reçu… il y a… des nouvelles ?

— …Non, mais non, il n’y a rien ; je t’assure.

— Si ! tu as reçu une lettre ce soir ; j’ai vu le portier te la remettre.

— Oui, c’est vrai, mais je te jure, mon mio, il n’y a rien, non, rien de… menaçant, d’imminent ?… Comment dire ? Non, non, il n’y a rien. Je ne sais en vérité pas pourquoi je t’ai dit de ne pas parler de demain.

Il était tombé sur le banc ; il lui semblait que tout à coup son sang s’écoulât, ou que son cœur se fût arrêté. Il se sentait frappé subitement du plus grand malheur qui le pût atteindre ; il comprenait d’un coup la violence de la passion qu’il éprouvait, la nécessité absolue