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— Je savais bien, chère madame, que votre nature est foncièrement chrétienne.

— Heu ! heu ! bougonnait Félicie ; on a tant d’occasions de s’indigner !

Il l’exhorta à la patience, à la douceur. Les hommes ne sont-ils pas tous frères, qu’ils proviennent d’un continent ou de l’autre ?

— Pourvu qu’ils paient ! dit Félicie.

Grand’mère et ces demoiselles se redressèrent. Allait-elle repartir ?

Par bonheur, les mots se métamorphosaient dans l’oreille de l’abbé Fombonne, et il n’en percevait que le sens favorable. Il dit qu’en effet l’argent servait à accomplir de belles et grandes choses. C’était trop l’avis de Félicie ; nul argument ne pouvait la frapper davantage. Il le vit bien et en usa. Il la prenait en contradiction avec elle-même ; mais, comme elle était sincère, elle baissait le ton. Tous deux, fils de la terre, se rapprochaient par leur goût commun de la richesse. Tout à coup, Félicie s’avisa :

— Mais votre créole n’a pas le sou, au milieu de tous ces millions ! Vos Américains cherchent à l’écouler sur le continent, comme leur camelotte !… Qui sait !… un laissé pour compte, peut-être bien ? Dame ! je vous demande si c’est naturel, quand on a roulé sur le pavé des deux mondes, de venir épouser un notaire de province !… Allez | allez !… Ce niais de Nadaud a donné dans le miroir aux alouettes !


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X

COUP SUR COUP

Félicie partit un matin, au grand étonnement du pays qui ne croyait point à ce voyage.

— Plus souvent, disait Pidoux, que ma’me Planté irait à Paris dépenser de l’argent !… Pour ce qui est de se faire ôter son mal avec un couteau, c’est trop chanceux !

On avait fait la malle, précipitamment, la veille, au reçu d’un télégramme de Philibert. Les fenêtres étaient ouvertes sur le jardin peuplé d’ombres ; les papillons nocturnes heurtaient l’abat-jour, et toutes sortes de petites bêtes ailées venaient mourir au pied de la lampe. Félicie distribuait ses vêtements à Valentine agenouillée devant la caisse de bois noir, et elle inscrivait chaque objet, comme autrefois l’argenterie au bord du puits perdu. Entre temps, elle confiait à sa sœur :

— Mon testament est chez monsieur Laballue… Comme cela, il n’y aura pas d’indiscrétions.

L’émotion l’étouffait ; elle s’épuisait à le dissimuler : de temps en temps, elle allait jusqu’à la fenêtre et s’y penchait, implorant le secours de l’air. Une courte pluie