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un coup, je ne veux de toi, présentement, que la définition que tu m’as promise sur dame Nature ; vous voilà tranquille, monsieur le philosophe ; parlez, je vous écoute.

« — Sur dame Nature ? reprit l’abbé. Ma foi ! vous en saurez bientôt autant que moi. C’est un être imaginaire, c’est un mot vide de sens. Les premiers chefs des religions, les premiers politiques, embarrassés sur l’idée qu’ils devaient donner au public du bien et du mal moral, ont imaginé un être entre Dieu et nous, qu’ils ont rendu auteur de nos passions, de nos maladies, de nos crimes. Comment, en effet, sans ce secours, eussent-ils concilié leur système avec la bonté infinie de Dieu ? D’où eussent-ils dit que nous venaient ces envies de voler, de calomnier, de violer, d’assassiner ? Pourquoi tant de maladies, tant d’infirmités ? Qu’avait fait à Dieu ce malheureux cul-de-jatte, né pour ramper sur la terre pendant toute sa vie ?

« Un théologien nous dit à cela : Ce sont les effets de la nature. Mais, qu’est-ce que c’est que cette nature ? Est-ce un autre Dieu que nous ne connaissons pas ? Agit-elle par elle-même et indépendamment de la volonté de Dieu ? Non, dit encore sèchement le théologien. Comme Dieu ne peut pas être l’auteur du mal, le mal ne peut exister que par le