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« Il faut avouer que nous sommes des animaux bien faibles et bien peu maîtres de diriger nos volontés. — Je sais tout cela, mon pauvre abbé, reprit Mme C… ; tu ne m’apprends rien de nouveau ; mais, dis-moi, est-il bien vrai que dans le genre de plaisirs que nous goûtons nous ne péchons pas contre l’intérêt de la société ? Et cet amant sage dont tu approuves la prudence, qui retire l’oiseau de son nid et qui répand le baume de vie au dehors, ne fait-il pas également un crime, car il faut convenir que, les uns et les autres, nous supprimons à la société un citoyen qui pourrait lui devenir utile.

« — Ce raisonnement, répliqua l’abbé, paraît d’abord spécieux, mais vous allez voir, ma belle dame, qu’il n’a cependant que l’écorce. Nous n’avons aucune loi humaine ni divine qui nous invite, et encore moins qui nous contraigne de travailler à la multiplication du genre humain. Toutes ces lois permettent le célibat aux garçons et aux filles, à une foule de moines fainéants et de religieuses inutiles ; elles permettent à l’homme marié d’habiter avec sa femme grosse, quoique les semences alors répandues soient sans espérance de fruit. L’état de virginité est même réputé préférable à celui du mariage.

« Or, ces faits posés, n’est-il pas certain que l’homme qui triche et ceux qui, comme nous, jouis-