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cette passion que nous tenons des mains de la nature. Mais il n’en est pas de même de la jalousie, considérée par rapport aux plaisirs de l’amour. Cette passion est l’effet de notre amour-propre et du préjugé. Nous connaissons des nations entières où les hommes offrent à leurs convives la jouissance de leurs femmes, comme nous offrons aux nôtres le meilleur vin de notre cave. Un de ces insulaires caresse l’amant qui jouit des embrassements de sa femme : ses compatriotes l’applaudissent, le félicitent. Un Français, en même cas, fait la moue : chacun le montre au doigt et se moque de lui. Un Persan poignarde l’amant et la maîtresse : tout le monde applaudit à ce double assassinat.

« Il est donc évident que la jalousie n’est pas une passion que nous tenions de la nature : c’est l’éducation, c’est le préjugé du pays qui la fait naître. Dès l’enfance, une fille, à Paris, lit, entend dire qu’il est humiliant d’essuyer une infidélité de son amant ; on assure à un jeune homme qu’une maîtresse, qu’une femme infidèle blesse l’amour-propre, déshonore l’amant ou l’ami. De ces principes, sucés pour ainsi dire avec le lait, naît la jalousie, ce monstre qui tourmente les humains en pure perte, pour un mal qui n’a rien de réel.

« Distinguons néanmoins l’inconstance de l’infidé-