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« — Mais, abbé, reprit Mme C…, auras-tu bientôt fini avec ta Thérèse ? Sommes-nous venus ici pour nous entretenir uniquement de ses beaux yeux, de son tempérament ? Je soupçonne, monsieur l’égrillard, que vous auriez bien envie de lui éviter la peine qu’elle prend de s’appliquer elle-même votre recette. Au reste, tu sais que je suis bonne princesse, et j’y consentirais volontiers si je n’en prévoyais pas le danger pour toi. Thérèse a de l’esprit ; mais elle est trop jeune et n’a pas assez d’usage du monde pour oser s’y confier. Je remarque que sa curiosité est sans égale. Il y a de quoi faire par la suite un très bon sujet ; et sans les inconvénients dont je viens de parler, je n’hésiterais pas à te proposer de la mettre de tiers dans nos plaisirs ; car convenons qu’il y a bien de la folie à être jaloux ou envieux du bonheur de ses amis dès que leur félicité n’ôte rien à la nôtre.

« — Vous avez bien raison, madame, dit l’abbé : ce sont deux passions qui tourmentent en pure perte tous ceux qui ne sont pas nés pour savoir penser. Il faut distinguer cependant l’envie de la jalousie. L’envie est une passion innée dans l’homme ; elle fait partie de son essence : les enfants au berceau sont envieux de ce qu’on donne à leurs semblables. Il n’y a que l’éducation qui puisse modérer les effets de