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fonds de tendresse, lui fit choisir le parti de la dévotion, comme le plus propre à son projet. Elle aima Dieu comme on aime son amant. Dans le temps que je la retrouvai, pénitente du père Dirrag, elle ne parlait que de méditation, de contemplation, d’oraisons ; c’était alors le style de la gent mystique de la ville et même de la province. Ses manières modestes lui avaient acquis depuis longtemps la réputation d’une haute vertu. Éradice avait de l’esprit, mais elle ne l’appliquait qu’à parvenir à satisfaire l’envie démesurée qu’elle avait de faire des miracles ; tout ce qui flattait cette passion devenait pour elle une vérité incontestable. Tels sont les faibles humains : la passion dominante dont chacun d’eux est affecté absorbe toujours toutes les autres ; ils n’agissent qu’en conséquence de cette passion ; elle les empêche d’apercevoir les plus claires qui devraient servir à la détruire.

Le Père Dirrag était né à Lôde. Lors de son aventure, il avait environ cinquante-trois ans ; son visage était tel que celui que nos peintres donnent aux satyres. Quoique excessivement laid, il avait quelque chose de spirituel dans la physionomie. La paillardise, l’impudicité étaient peintes dans ses yeux ; dans ses actions, il ne paraissait occupé que du salut des âmes et de la gloire de Dieu. Il avait beaucoup de talents pour la chaire ; ses exhortations, ses discours étaient