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tes passions, qui ont décidé ces diverses volontés, malgré l’uniformité des connaissances acquises. Je dis plus : Grégoire, qui aimait le vin, était le plus honnête homme, le plus sociable, le meilleur ami lorsqu’il n’avait pas bu, mais dès qu’il avait goûté de cette liqueur enchanteresse, il devenait médisant, calomniateur, querelleur, il se serait coupé la gorge par goût avec son meilleur ami. Or, Grégoire était-il maître de ce changement de volonté qui se faisait tout à coup dans lui ? Non, certainement, puisque de sang-froid il détestait les actions qu’il avait été forcé de commettre dans le vin. Quelques sots cependant admiraient l’esprit de continence dans Grégoire, qui n’aimait pas les femmes ; la sobriété de Damon, qui n’aimait le vin ; et la piété de Philinte, qui n’aimait ni les femmes ni le vin, mais qui jouissait du même plaisir que les deux premiers, par son goût pour la dévotion. C’est ainsi que la plupart des hommes sont dupes de l’idée qu’ils ont des vices et des vertus humaines.

Concluons. L’arrangement des organes, les dispositions des fibres, un certain mouvement des liqueurs donnent le genre des passions ; les degrés de force dont elles nous agitent contraignent la raison, déterminent la volonté dans les plus grandes actions de notre vie. C’est ce qui fait l’homme passionné,