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plus, ma main se trouvait saisie de la pomme, mon doigt remplaçait le serpent.

Excitée par les avant-coureurs du plaisir, j’étais incapable d’aucune autre réflexion ; l’enfer entr’ouvert sous mes yeux n’aurait pas eu le pouvoir de m’arrêter : remords impuissants ! je mettais le comble à la volupté.

Que de troubles ensuite ! le jeûne, le cilice, la méditation étaient ma ressource : je fondais en larmes. Ces remèdes, en détraquant la machine, me guérirent à la vérité tout à coup de ma passion ; mais ils ruinèrent ensemble mon tempérament et ma santé ; je tombai enfin dans un état de langueur qui me conduisait visiblement au tombeau, lorsque ma mère me retira du couvent.

Répondez, théologiens fourbes ou ignorants qui créez nos crimes à votre gré : qui est-ce qui avait mis en moi les deux passions dont j’étais combattue, l’amour de Dieu et celui du plaisir de la chair ? Est-ce la Nature ou le Diable ? Optez. Mais oseriez-vous avancer que l’un ou l’autre soient plus puissants que Dieu ? S’ils lui sont subordonnés, c’est donc que Dieu avait permis que ces passions fussent en moi : c’était son ouvrage. Mais, répliquerez-vous, Dieu vous a donné la raison pour vous éclairer. Oui, mais non pas pour me décider. La raison m’avait