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et sur lequel votre générosité devait me rassurer. Je vous aimais ; mais que les préjugés sont puissants et difficiles à détruire ! L’état de fille entretenue, auquel j’avais toujours vu attacher une certaine honte, me faisait peur. Je craignais aussi de mettre un enfant au monde. Ma mère, Mme C…, avaient failli de périr dans l’accouchement. D’ailleurs, l’habitude où j’étais de me procurer par moi-même un genre de volupté que l’on m’avait dit être égal à celui que nous recevons dans les embrassements d’un homme amortissait le feu de mon tempérament, et je ne désirais jamais rien à cet égard, parce que le soulagement suivait immédiatement les désirs. Il n’y avait donc que la perspective d’une misère prochaine ou l’envie de me rendre heureuse, en faisant votre bonheur, qui pussent me déterminer. Le premier motif ne fit que m’effleurer ; le second me décida.

Avec quelle impatience n’attendis-je pas votre retour chez moi dès que j’eus pris mon parti ! Le lendemain vous parûtes ; je me précipitai dans vos bras. Oui, monsieur, je suis à vous, m’écriai-je ; ménagez la tendresse d’une fille qui vous chérit : vos sentiments m’assurent que vous ne contraindrez jamais les miens. Vous savez mes craintes, mes faiblesses, mes habitudes. Laissez agir le temps et vos conseils. Vous connaissez le cœur humain, le pouvoir des sensations