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est celle de vous rendre heureuse. » Je voulus en ce moment vous interrompre pour vous remercier. « Il n’est pas temps, mademoiselle, reprîtes-vous ; ayez la bonté de m’écouter jusqu’à la fin. J’ai douze mille livres de rente ; je puis, sans m’incommoder, vous en assurer deux mille pendant votre vie. Je suis garçon, dans la ferme résolution de ne jamais me marier, et déterminé à quitter le grand monde, dont les bizarreries commencent à m’être trop à charge, pour me retirer dans une assez belle terre que j’ai à quarante lieues de Paris. Je pars dans quatre jours. Voulez-vous m’y accompagner comme amie ? Peut-être, par la suite, vous déterminerez-vous à vivre avec moi comme ma maîtresse : cela dépendra du plaisir que vous aurez à m’en faire ; mais comptez que cette détermination ne réussira qu’autant que vous sentirez intérieurement qu’elle peut contribuer à votre félicité.

« C’est une folie, ajoutâtes-vous, de croire qu’on est maître de se rendre heureux par sa façon de penser. Il est démontré qu’on ne pense pas comme on veut. Pour faire son bonheur, chacun doit saisir le genre de plaisir qui lui est propre, qui convient aux passions dont il est affecté, en combinant ce qui résultera de bien et de mal de la jouissance de ce plaisir, et en observant que ce bien et ce mal soient